Il est 20h ce soir quand, après une ( trop ) longue journée de travail, j’arrive enfin à la maison. Il fait nuit depuis longtemps: tout est calme et silencieux dehors, les familles sont réunies depuis longtemps… C’est comme si j’étais la dernière dehors, comme si le temps m’avait oubliée. J’en suis à 3 semaines de grossesse. Je suis épuisée. Mes journées à rallonge et ce vent glacé de Janvier m’épuisent. Alors à peine mon manteau rangé je file à la salle de bain m’offrir un peu de réconfort. Bien au chaud dans mon bain je pose ma main sur mon ventre: tu es là, si petit(e), si discret(e). Mais tu es là, avec moi. Je souris. Tout va déjà mieux. Et puis je sors, j’attrape une serviette… et je manque de tourner de l’œil… du sang… oui c’est bien du sang. Une empreinte rouge, indélébile, qui tâche le blanc immaculé de ma serviette. Mon cœur bat maintenant à cent à l’heure. Oublié mon sourire. J’ai peur. Le sol s’effondre sous mes pieds. Pétrifiée je prend mon courage à deux mains: peut-être ai-je rêvé à cause de la fatigue? Non, cette affreuse trace est toujours là. Elle brouille ma vue. Mes yeux sont embués, je dois m’asseoir. Non pas ça. Ne me fais pas ça mon petit amour. Je tiens déjà tant à toi…
Les heures passent. Je suis restée prostrée sans bouger sur le canapé. C’est comme ça que ton Papa m’a trouvée quand il est rentré. Oui il est ton Papa, et il tient déjà tellement à toi lui aussi. Ne lui fais pas ça. On est perdus. On ne sait pas quoi faire, quoi se dire. Et puis sa voix brise enfin le silence: » Appelle les urgences… ». Oui c’est sans doute ça qu’il faut faire. Puis nous voilà dans la voiture. Le paysage défile à toute allure. Il est 22h30, tout est désert. Nous sommes seuls. Les gens eux sont restés bien au chaud chez eux. Ils sont heureux. Laissons les profiter de leur bonheur… Mais ce soir tu en as décidé autrement pour nous. Nous sommes en route vers ce qui est à cet instant pour moi le pire moment de ma vie. Voilà.
La dame m’enregistre à l’accueil. Puis commence une attente interminable. 30 minutes, peut-être une heure je ne sais plus. Le temps de voir cette soirée défiler cent fois dans ma tête, le temps de se préparer au pire. Je n’ose pas aller aux toilettes, je ne veux pas revoir ce rouge qui m’a poignardée en plein cœur. Je vois une femme enceinte en face de moi. Un joli ventre rond. Un ventre comme peut-être je n’en aurais pas. Et puis la porte s’ouvre. « Suivez moi… ». Je suis cette blouse blanche, tout mon corps se met à trembler. J’ai froid. Je dois lâcher la main chaude et rassurante de ton Papa: désormais un paravent nous sépare. Chacun de notre côté, c’est comme ça qu’on allait vivre ce moment. Lui seul, assis sur une chaise, et moi allongée sur ce fauteuil si froid, le regard fixé sur cet écran encore noir. Et puis la voix de la sage femme est venue me ramener à la réalité, avec ces mots que je n’oublierais décidément jamais: » Nous ne sommes pas ici pour une échographie « plaisir », si vous êtes là c’est que quelque chose ne va pas. Alors je vais seulement faire mon travail, et me concentrer sur ce qui ne va pas. Je vais donc tourner l’écran, et je ne vous parlerais pas. Je m’adresserais à vous une fois que j’aurais des réponses ». Et c’est tout. Effectivement elle ne m’a plus adressé un regard, et a tourné l’écran pour ne plus que je voie quoi que ce soit. Pour me protéger? Je me suis demandé… Et puis ont débuté les plus longues minutes de ma vie…
« Le cœur ne bat plus« . Voilà, c’est dit. J’avais beau m’y attendre, ces mots m’ont poignardée une seconde fois. A partir de ce moment tout devient flou. Le paysage qui défile en sens inverse, le silence froid qui règne entre nous. Quand je me suis réveillée ce matin-là nous étions deux en moi, mais le soir je me suis couchée seule, vide. Je ne suis pas allée travailler le lendemain. J’ai passé la journée à pleurer. Je t’aimais déjà tellement… Je n’accepte pas que tu sois parti(e). Je ne veux pas y croire. Et je songe à mon futur qui se fera désormais sans toi: a ce jour de septembre où nous étions supposés faire connaissance, ce jour qui aurait dû être le plus beau de ma vie, et qui ne sera finalement qu’un banal jour aussi triste que les autres. Je pense à ce Noël où nous aurions dû être trois, que nous fêterons finalement à deux le cœur serré. Je pense à cette chambre qui restera vide. Je pense à ces rires qui ne résonneront jamais dans la maison. Je pense à ta famille qui attendait tellement ton arrivée. Et moi, depuis le temps que je t’attendais… Je pense à cette jolie peluche tout juste achetée qui ne sera jamais câlinée. Je pense à mon corps désormais vide qui n’aura pu donner la vie. Je pense à ton premier anniversaire que tu ne fêteras pas, à tes camarades de classe que tu ne connaitras jamais. Je t’imagine petite fille, petit garçon je ne sais pas. Je ne saurais jamais. C’est trop dur. Tu me manqueras chaque jour qu’il me reste à vivre. Je t’aimais déjà si fort mon tout petit bébé…
[…]
Ce cauchemar hante mes nuits… je me demande souvent « Et si tu n’étais pas là?« . Je frémis à l’idée que les mots qui ont brisé le silence ce soir-là quand j’étais allongée sur ce fauteuil froid aient été ceux-là. Mon cœur se serre en imaginant ce qu’aurait été ma vie en ce moment, sans toi. Je mesure chaque jour la chance qu’on a eu ma princesse, car oui… l’attente ce soir-là a été la plus longue de ma vie, quand je fixais cette dame qui faisait son travail avec un air si grave, alors que les larmes coulaient sur mes joues sans que je puisse y faire quoi que ce soit. Mais finalement elle a brisé le silence, avec cette phrase que je n’oublierais décidément jamais: « TOUT VA BIEN« …
Et finalement elle a tourné l’écran vers moi, et j’ai pu voir ton petit cœur battre pour la première fois… Et ton Papa lui l’a entendu, rassuré derrière son paravent. Ce soir là je ne l’oublierais jamais ma chérie, il a marqué le début d’une histoire d’amour indescriptible, car oui notre lien si fort été définitivement créé à cet instant…
Je n’imagine tout simplement pas le monde sans toi, ma jolie Aïnoha…
Bien entendu en écrivant ce texte je ne peux qu’avoir une forte pensée pour mes amies ou bloggeuses coup de cœur qui n’ont pas entendu ce « Tout va bien », ce jour qui a changé leur vie… Ecrire sur ce sujet m’a fait du bien, après tout ce mauvais souvenir fait partie de notre histoire à Aïnoha et moi…
En te lisant j’ai eu peur de découvrir un récit de fausse couche 😧. Quel soulagement avec la fin !! C’est vrai que tout peut basculer si rapidement…
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Comme je le pense si souvent il n’y avait que deux issues possibles ce soir là, et je mesure ma chance d’avoir entendu les bons mots… ça aurait pu tourner au cauchemar, mais finalement ça restera le jour où je l’ai vue pour la première fois. Je pense que je ne pourrais jamais oublier…
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Cela fait partie de votre histoire et ne la rend que plus belle! Tu le sais, j’ai eu le récit inverse 5 fois, à 5 reprises le sang a continué de couler, le taux HCG s’est effondré et moi avec, les échographies ne servaient qu’à vérifier que tout était bien vide. C’est très douloureux et ça marque à vie. Cependant, je considère que cela fait aussi partie du lien que j’ai avec ma fille, c’est un peu son histoire, l’avant elle…
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C’est à toi que j’ai pensé en écrivant mon petit mot de fin oui… j’ose à peine imaginer comment tu as pu te sentir ces 5 fois… ça fait malheureusement partie de ton histoire pour toujours. On a cependant la chance d’avoir vu notre ventre s’arrondir un jour et d’être des Mamans comblées!
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